Rôle principal
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Rôle secondaire
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Rôle tertiaire
Rôle tertiaire
Rôle tertiaire
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Rôle tertiaire
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Rôle tertiaire
Rôle tertiaire
Non renseigné
Merci à Xaedony qui a créé cette fiche
Par où commencer... Cette œuvre est un chef-d'oeuvre. Mais un chef-d'oeuvre terriblement incompris (du moins une partie du public moderne, de ce que j'ai pu voir, et rien qu'une partie c'est déjà trop dans ce contexte). Et j'avoue qu'avec le twist final, qui est absolument glaçant mais criant de vérité, je ne peux pas m'empêcher d'être en colère quand je vois tant d'interprétations qui vont à l'encontre totale de ce que cette fin nous dit. De ce que tout le spectacle nous dit. Alors que c'est TELLEMENT important. (Même si dans le fond, au final ça prouve que l'oeuvre a tout compris et que ses nombreux pièges fonctionnent... Mais mince quoi, c'est frustrant, parce que ça en dit long sur le monde actuel malheureusement, alors que Cabaret ne cherche pas simplement à nous piéger mais aussi, et surtout, à nous faire réagir. Si on refuse d'accepter de se regarder dans le miroir que nous tend l'oeuvre, alors rien ne changera jamais.)
Bon, sans spoiler, il s'agit d'une histoire extrêmement métaphorique (et en même temps extrêmement réelle... C'est très fort) , qu'il ne faut surtout pas prendre au premier degré, sans pour autant vouloir chercher des allégories quand le spectacle ne fait que montrer une réalité. C'est un spectacle qui prétend vouloir nous divertir, nous faire rire... Mais qui cache une vérité si douloureuse, et une accusation si crue, que ça paraît tellement plus simple de détourner le regard. Mais c'est justement ça, le message de Cabaret. La tragédie née de tant de regards détournés.
En ce qui concerne les chansons, elles sont toutes mémorables et puissantes à leur manière. Tous les comédiens n'ont pas forcément des voix exceptionnelles, mais chaque chanson porte un message, un avertissement même.
En terme de jeu d'acteur, tout le monde est excellent, même si je dois évidemment faire une mention spéciale à Jane Horrocks dans le rôle de Sally Bowles et surtout, surtout, à Alan Cumming juste incroyable dans le rôle de ce maître de cérémonie qu'on ne comprend pas vraiment, ou qu'on ne veut pas comprendre, avant que la fin ne nous force à comprendre.
Cette comédie musicale est poignante, dérangeante, elle fait mal, mais c'est un mal nécessaire. Qu'est-ce-qu'elle est bien écrite, vraiment. Bien plus qu'une simple comédie musicale en fin de compte.
PS : Je me permets de refaire une critique plus poussée avec du recul, car j'ai depuis beaucoup réfléchi à cette adaptation, et je pense qu'elle mérite qu'on en dise plus et surtout, qu'on la voit réellement pour ce qu'elle est (et puis je suis la seule à avoir donné mon avis donc autant en profiter, d'autant plus que ma réaction à chaud n'est pas très compréhensible quand je la relis) :
Déjà, il ne faut pas s'attendre à une comédie musicale "classique", c'est-à-dire qu'on n'a pas de grands numéros avec des chanteurs qui hurlent leurs notes à plein poumons, ou des chorégraphies époustouflantes, rien de tout ça. Ici, même les plus grands numéros restent dans l'esprit "cabaret underground", loin du Moulin Rouge.
En fait, il faut savoir que Cabaret emprunte autant aux codes de la comédie musicale qu'à ceux du théâtre (on notera d'ailleurs les décors très minimalistes) en plus du cabaret, et c'est ce mélange entre trois disciplines à la fois très similaires mais aussi bien distinctes qui lui donne son cachet unique. Parfois, on est dans du cabaret pur et dur, d'autres fois dans du vaudeville, puis on évolue vers le drame historique...
Mais le spectacle est loin, très loin d'en devenir brouillon, bien au contraire. Tout est parfaitement calculé, tout s'enchaîne naturellement, tout a du sens.
Pour ce qui est du scénario, il tient en deux lignes à tout casser. Mais ce n'est absolument pas un problème ! Car le but ici n'est pas de raconter une grande histoire romanesque, mais plutôt de montrer la vie d'un échantillon de personnes dans le Berlin des années 30, chaque personnage représentant un pan de la société à l'aube de la Seconde Guerre Mondiale et surtout de la montée en puissance du nazisme, une société qui se perd dans l'insouciance, dans l'ivresse, le rire, les faux espoirs, alors que le monde est en train de sombrer.
Et chaque personnage est très bien écrit, même s'ils reposent sur des archétypes (le poète rêveur, la chanteuse délurée, la femme plus âgée pleine de sagesse, l'homme gentiment maladroit et plein de bonhommie...), c'est volontaire et surtout, on assiste à la déconstruction de ces mêmes archétypes, pour que chaque déconstruction indique quelque chose sur la société berlinoise.
En parlant des personnages, les acteurs sont tous excellents ! Chacun semble avoir été parfaitement choisi pour le rôle, ils sont tous crédibles, rien à redire. Comme je l'ai dit, Jane Horrocks, dans le rôle de la chanteuse Sally Bowles (très beau personnage d'ailleurs), est particulièrement impressionnante, à la fois charismatique, pétillante, et d'une grande fragilité (elle a un petit côté Arleen Sorkin qui la rend très attachante).
Je me dois aussi de mentionner Sara Kestelman, incroyablement juste dans son interprétation de Fraülein Schneider.
Le seul acteur que j'ai peut-être un peu moins aimé est Adam Godley dans le rôle de Clifford Bradshaw, même en tenant compte du fait que son personnage n'est pas pensé comme le plus charismatique de la planète j'ai trouvé qu'il manquait parfois un peu de profondeur dans sa manière d'interpréter les émotions. Il joue bien, je ne dirai pas le contraire ! Mais il est un peu en-dessous des autres, disons que ce n'est pas lui qu'on retiendra le plus.
Et bien évidemment, je me dois de m'arrêter un peu plus longtemps sur un personnage en particulier : le Maitre de Cérémonie (ou tout simplement "l'Emcee"), incarné avec brio par Alan Cumming. Un personnage haut-en-couleur, exubérant, outrancier, mais d'une profondeur incroyable une fois que l'on comprend vraiment sa place dans l'histoire (et dans l'Histoire avec un grand H), qui porte toutes les thématiques sur ses épaules (ou du moins, les dévoile à sa manière) et se dévoile comme un personnage tour à tour inquiétant, angoissant, puis bouleversant et tragique. Et le jeu de Cumming est juste... fou. Il en dit bien plus avec ses yeux et sa gestuelle qu'avec ses mots, parfois presque avec une précision de mime, et c'est très très fort. On sent qu'il ne fait pas que jouer un personnage, il a fusionné avec le rôle et pour un personnage de cette envergure, c'était nécessaire, et ça apporte tellement à l'oeuvre. Sans compter la spécificité du registre qu'il emploie : on le croirait tout droit sorti d'un film allemand des années 20-30 avec ce jeu expressionniste au possible, mais tout ça combiné à une stratification émotionnelle, et un naturel dans ces émotions, comme j'en ai rarement vus, on sent une identification totale au personnage qui nous fait complètement oublier qu'on est face à un acteur (ce qui, étant donné la complexité et la densité émotionnelles et thématiques du rôle, n'est pas peu dire). Rien que pour ce personnage et cette performance, Cabaret mérite d'être qualifiée de "chef-d'oeuvre", et je pèse mes mots. Et je vais le dire franchement, je pense que je n'ai jamais vu un personnage aussi important, et aussi marquant, dans ce qu'il apporte en terme de thématiques, de messages et tout simplement, de mémoire, et qu'est-ce-qu'il exprime bien tous ces éléments. (Cette fin, nondidiou...)
[spoiler] Et je me permets d'aller un peu plus loin : c'est un personnage immensément tragique sous couvert de "décadence" non pas parce qu'il est décadent, mais parce qu'il est, dans son entièreté, l'artiste queer et marginal de l'Allemagne sous la République de Weimar... Celui-là même qui, historiquement, s'est fait briser par le régime nazi. La question, dans cette adaptation de Cabaret, n'est pas d'accuser les artistes d'avoir détourné les yeux du monde face à l'horreur : la question est de savoir pourquoi les marginaux (et par extension, toute personne ne parvenant plus à vivre dans cette société) quels qu'ils soient, ont eu besoin de ce refuge et surtout, comment notre vision de ces mêmes êtres humains réduits à un spectacle grotesque dit de nous. L'Emcee joue avec tous ces codes pour mieux nous mettre face à nos propres erreurs, et il le fait consciemment, c'est là toute la nuance. Dans le fond, il est la conscience même de Cabaret, cette conscience brisée mais qui garde une forme d'espoir. [/spoiler]
Mais dans l'ensemble, ce qui fait de cette adaptation de Cabaret une œuvre aussi importante à mes yeux, c'est tout simplement les thématiques, et plus précisément, la façon dont elles sont abordées, mais aussi leur pluralité. On parle principalement de l'aveuglement des sociétés face à l'oppression, une thématique traitée avec une immense justesse faisant qu'il est impossible de chercher à contredire l'oeuvre, mais il y a tout un tas d'autres messages interconnectés dissimulés dans l'histoire*. (Des messages qui, pour beaucoup, sont rarement mis en avant dans la fiction, et encore moins avec autant de justesse et de profondeur, et qui sont pourtant essentiels et toujours d'actualité. Cabaret ne se contente pas d'enfoncer des portes ouvertes, et c'est ça qui est marquant.)
*En vrac : la place de l'art dans la politique (ici le cabaret face à la montée du régime totalitaire), le rapport entre le public et l'artiste, les dangers de l'hédonisme à outrance mais aussi les raisons plus sombres et tragiques derrière cette quête absolue de plaisir éphémère, toutes les formes possibles de déshumanisation, l'abandon collectif dans une dynamique individualiste (et, implicitement, un appel à la solidarité et à la reconnaissance de l'autre, question centrale dans un tel contexte), etc...
Et surtout : le public, ici, n'est pas simple spectateur. Ou plutôt, le spectacle est fait d'une telle manière que la passivité du public devient complice de ce qu'il dénonce. Les pièges sont partout, et ils font énormément réfléchir.
Et cette fin... Je me répète mais sans spoiler, elle recontextualise toute l'oeuvre et elle le fait d'une manière poignante, magistrale. Peut-être ma fin préférée parmis tout ce que j'ai pu voir.
Pour finir, je dois souligner l'attention aux détails que Sam Mendes porte à sa mise en scène. Il est principalement cinéaste, et ça se voit, chaque scène est construite comme un plan dans un film, et chaque "plan" dit quelque chose par sa simple construction, c'est extrêmement travaillé. (J'ai aussi remarqué une grosse utilisation des symboles, à plusieurs niveaux, et ça ne fait qu'ajouter à la profondeur de l'œuvre-et quand je dis symbole, ça va jusqu'à des références très poussées, notamment des références à des allégories religieuses.)
Dans l'ensemble, Cabaret est une œuvre qui hante. Sans jamais tomber dans le pathos, elle rentre dans l'esprit du spectateur, le renvoit à des pans de l'histoire douloureux mais impossibles à oublier, et interroge notre place face à cette même histoire. C'est dur, très dur, on n'en ressort pas le sourire aux lèvres, mais c'est nécessaire. (Et pourtant, et c'est peut-être ce qui me fascine le plus avec cette œuvre, c'est qu'elle est pleine d'empathie pour ses personnages et pour son public. Elle accuse, oui, elle pointe du doigt, mais c'est pour mieux faire réfléchir sur soi, sur la possibilité de ne pas refaire les mêmes erreurs. Il y a une humanité presque viscérale qui s'en dégage, une humanité douloureuse, mais encore porteuse d'espoir, même infime.)
Et surtout, il y a un appel à l'empathie énorme dans cette œuvre, dissimulé derrière les extravagances du cabaret mais bien là. Et c'est d'ailleurs pour ça que les réactions du public qui me semblent totalement aller à l'encontre du message me touchent autant, c'en est tellement triste en réalité.
Je reconnais que ça peut sembler un peu trop dithyrambique mais honnêtement, j'ai beau chercher je n'ai aucun point négatif à relever. Vraiment aucun, parce que tout est justifié d'une manière ou d'une autre.
(Enfin, si je peux bien faire une toute petite critique, c'est sur le fait que la frontière entre la réalité et le symbole soit si fine que ça peut parfois être un peu difficile de saisir tous les éléments. Cela dit, je ne sais pas si le problème vient davantage de la densité de l'oeuvre ou juste de moi, et dans tous les cas les idées les plus importantes sont claires (surtout grâce au final), en réalité les éléments plus flous concernent des détails qui n'impactent pas le message de l'oeuvre, du moins pas dans les grandes lignes, mais c'est à souligner quand même.)
Ah et j'ai oublié de parler plus en détail des chansons ! Encore une fois, on n'est pas dans du Broadway, d'ailleurs la majorité des numéros sont diégétiques ce qui détonne déjà de la comédie musicale classique, et toutes les chansons ne sont pas forcément exceptionnelles mais elles servent toutes le propos d'une manière ou d'une autre avec plusieurs degrés de lecture, et il y en a quand même pas mal d'excellentes (Willkommen, Mein Herr, If You Could See Her, I Don't Care Much, Life is a Cabaret...) !
Ah oui et PS : Je n'ai pas (encore) vu la célèbre version de Bob Fosse (juste 2-3 extraits) donc je ne peux pas comparer, mais de ce que je sais, ne vous attendez pas à retrouver l'esprit de Fosse ici. Même si cette adaptation en reprend certains codes, dans l'ensemble c'est une version complètement indépendante du film, plus sombre et ouvertement politisée, avec même des personnages différents mis à part Sally et l'Emcee (qui sont eux-mêmes très différents dans ces deux versions, en particulier l'Emcee de ce que j'ai pu voir). Donc ne vous étonnez pas, ce n'est pas une adaptation scénique du film.